Ce
troisième pionnier Auguste Wolff (1821-1887) est l'associé de
Camille depuis 2 ans. Lui aussi pianiste talentueux et compositeur.
L'entreprise étant très florissante, on a besoin de s'étendre, et
donc à nouveau, on va déménager. cette fois-ci on voit très
grand, on achète un bout de la plaine Saint Denis.
De
nos jours, il ne nous reste que le Carrefour Pleyel, la rue Pleyel,
le métro Pleyel, pour nous rappeler cette ruche de l'époque. Sur
55.000 m2 d'usines, Auguste y installe 400 machines-outils. L'air
comprimé et la vapeur pour les machines sont générés par une
station autonome. D'immenses hangars sont construits pour sécher le
bois. l'usine ressemble à un bourg dans la plaine.
700
ouvriers s'activent et un escadron de pompiers est à demeure.
2500
pianos par an sortent de l'usine qui affiche sur le fronton de la
porte d'entrée : Pleyel - Wolff et Cie.
Auguste
Wolff marié à la nièce du compositeur Ambroise Thomas, aura neuf
enfants dont Germaine qui épousera en 1883, Gustave Lyon. Quatre ans
plus tard, Auguste épuisé par tant d'exploits, meurt. Gustave lui
succède.
C'est
notre quatrième pionnier Gustave Lyon (1857-1936).
Quel
cerveau celui-là ! Il est polytechnicien, ingénieur des mines et
excellent musicien. Il va étudier particulièrement la science du
son. Elle fait appel à la mécanique des fluides, la mécanique
vibratoire, la mécanique du solide transformable et la
thermodynamique. Le terme acoustique vient du grec ancien
(akoustikos) qui signifie l’ouïe. Déjà au 6ème siècle avant
J.C., Pythagore étudia l'acoustique musicale. Les grecs à l'époque
maitrisaient parfaitement les propriétés sonores des matériaux
qu'ils utilisaient pour édifier leur amphithéâtre.
Le
théâtre d'Epidaure construit au 4ème siècle avant J.C. est un
joyau qui témoigne de cette science. Galileo - Galilei en 1638, dans
ses " discours mathématiques concernant deux sciences nouvelles
", commente la notion de fréquence musicale. L’ouïe est
généralement considérée comme le plus fin des sens ; l'acoustique
explore sa physiologie qui va du pavillon de l'oreille jusqu'aux
corrélations synaptiques du cerveau. En fait, l'acoustique c'est la
propagation dans l'air d'un son constitué par un mouvement d'air
rapide qui parvient à l'oreille humaine.
En
France, nous avons la chance d'avoir Gustave Lyon qui au début du
20ème siècle va découvrir des secrets d'acoustique, et nous offrir
une salle de concerts unique. Mais bien avant, en 1890, Pleyel fête
la sortie de son 100.000 ème piano.
Gustave
modernise les usines, les pianos sont traités pour supporter des
variations atmosphériques
importantes. On les envoie en Amérique du Nord et du Sud, en Australie.
Dans
le livre "la Salle Pleyel" de Fourcaud, Pougin et Pradel,
paru en 1893 à Paris on lit page 119 : " On peut dire que
les pianos de MM. Pleyel, Wolff et Cie sont connus et appréciés du
monde entier. Il n'existe point peut-être de notoriété plus
universelle. leur solidité à toute épreuve, les qualités du son
qui les caractérisent, leur ont assuré depuis longtemps la faveur
de tous ceux qui se servent de cet instrument. Ils possèdent surtout
sans exception la haute préférence de tous les maîtres du piano en
France et à l'étranger. Voici d'ailleurs la preuve la plus
éloquente de l'estime dont ils jouissent : depuis sa fondation, la
maison Pleyel Wolff et Cie à fabriqué et vendu 108.000 pianos.
C'est évidemment le plus bel éloge qui puisse être fait de ses
instruments ".
Il
faut savoir que l'organisation ouvrière et l'économie sociale
instaurées par la famille Pleyel, sont un modèle d'intelligence
pratique. Si nos entreprises actuelles bénéficiaient d'un tel
modèle, bon nombre d'organisations étatiques deviendraient inutiles
et notre société serait apaisée.
D'abord,
on considère l'ouvrier comme un associé, membre d'une association
qui est
l'usine. Pour y entrer dans cette usine, on doit faire ses preuves.
Prenons un enfant qui entre en apprentissage à l'usine. D'abord il
entre à l'école Pleyel placée dans l'usine même, entre 5 et 8 ans
; il peut compléter son instruction à l'école publique de Saint
Ouen ou Saint Denis. Muni de son certificat d'études, il revient à
l'établissement et fait trois ans d'apprentissage. On le fait passer
dans tous les ateliers pour acquérir une instruction professionnelle
complète. Par une compréhension très élevée de l'usine, on veut
qu'il ait une connaissance suffisante de toutes les parties de la
facture. On ne dresse pas des machines, on forme des hommes ayant des
lumières sur tout ce qui concerne le métier. Au bout de ces trois
ans, on dirigera l'apprenti vers telle ou telle spécialité, après
avoir observé ses aptitudes particulières.
On
donne à l'apprenti un franc par jour, puis deux, puis trois. Dès
que le jeune est devenu ouvrier il gagne 4 jusqu'à 8 francs pour un
travailleur d'élite. On lui apprend à épargner dès l'enfance, on
lui donne une petite caisse pour cela, et pour l'encourager la
direction lui verse chaque année une somme égale à ce qu'il a
réussi à épargner. Ceux qui sont célibataires ou qui logent trop
loin de l'usine trouvent un excellent repas à bon marché. L'usine
Pleyel a fort bien compris son rôle de tutelle en développant chez
les sociétaires le sens de la prévoyance et de la responsabilité.
Si
l'ouvrier veut placer l'argent qu'il a mis de côté, la maison
Pleyel lui ouvre un compte de dépôt portant un intérêt que bien
peu d'état et de placements industriels sont en mesure d'assurer de
nos jours. Le placement rapporte intérêt, le prêt n'en coûte
aucun. Celui qui demande un emprunt l'obtient sur son "simple
engagement d'honneur" de le rembourser, à raison de 2 francs
par semaine. Tout le système est basé sur la confiance et la
loyauté. Et cela fonctionne très bien ! Les malades sont visités
gratuitement par le médecin, et les médicaments leur sont donnés
gratuitement.
En
dehors de cette assistance de la maison, les ouvriers ont organisé
deux sociétés de secours : la société de secours mutuel et le
groupe mutuel. Ce dernier recrute par
adhésions volontaires, tandis que la société englobe d'office tous
les ouvriers. Lorsqu'enfin l'ouvrier atteint 60 ans et se trouve
avoir 30 ans de service, il devient pensionnaire tout en continuant à
travailler à l'atelier, s'il le veut. C'est à dire qu'outre son
salaire, il reçoit une pension minima de 365 francs par an, et cela
sans qu'il ait jamais versé un sou à la caisse des retraites ou
subi la moindre retenue d'appointements. A sa disposition, l'ouvrier
a une bibliothèque privée de 3000 livres, un club d'archers avec un
stand de tir aménagé, une fanfare dont les instruments sont un don
de la maison et dirigée par un chef de musique de talent.
A
chaque étape de sa carrière, l'ouvrier trouve une institution
d'aide, de camaraderie, de secours ou de prévoyance.
Pour
expliquer son management, la maison Pleyel explique que : "nous
considérons notre affaire comme la collaboration intelligente et
volontaire de tous nos ouvriers".
Ces
entrepreneurs sur quatre générations, nous ont démontré ce que
des musiciens intelligents
et décidés savent faire. Ils sont parfaitement modernes. ils me
donnent l'envie
de continuer leur histoire, de la pousser à l'extrême du savoir et
de l'esthétisme,
alors que nos contemporains ne se sont occupés que de contenants politiques
sans contenu !
A suivre….
A suivre….
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