Ces entrepreneurs sur quatre
générations, nous ont démontré ce que des musiciens intelligents et décidés savent
faire. Ils sont parfaitement modernes. ils me donnent l'envie de continuer leur
histoire, de la pousser à l'extrême du savoir et de l'esthétisme, alors que nos
contemporains ne se sont occupés que de contenants politiques sans contenu !
Venons-en à ce contenant qui a
du contenu, ce grand auditorium. C'est cette humanité et cette
intelligence qui va guider Gustave Lyon dans la création de la
grande Salle Pleyel.
Imaginez : vous vous trouvez
face à un palais art-déco ; ce style né en France dans les années
1920 et qui est devenu mondial. Vous entrez dans une vaste rotonde
avec 9 colonnes gigantesques disposées en cercle soutenant un puis
de lumière qui rejailli au sol sur une marqueterie en étoile de
marbre blanc crème et noir, comme pour dire au visiteur "venez,
ici il y a de la lumière", et le papillon entre se baigner dans
la lumière vive et chaude apportée par les décors et ferronneries
en bronze doré. Vous entrez dans le grand hall majestueux très
dépouillé mais chaleureux avec de merveilleuses marqueteries
blanches et noires au sol et un plafond formé par de grands carrés
de marbre beige, diffusant une lumière indirecte.
Vous accédez aux trois salles
par quatre escaliers montants pour la grande salle et deux escaliers
descendants pour la salle Chopin de 500 places et la salle Debussy de
150 places. Et là, en montant l'escalier, en poussant les doubles
portes de cuir noir, vous vous trouvez soudainement dans un monde
nouveau : un vaste auditorium aux formes rondes, aux murs d'un doré
sourd longs de 50 mètres, larges de 30 mètres et s'envolant sur 17
mètres éclairés de lumières indirectes, avec 3000 fauteuils
recouverts de peau de vache blanche et noire, ancrés dans un parquet
de bois d'angélique, des fresques dans les tons de mauve parcourant
la base des murs jusqu'au premier balcon.
Un délire de simplicité et de
richesse. Entrer dans cet halo doré tout en formes courbes,
préfigure les aventures humaines futures. Il est clair que Gustave
Lyon veut donner une nouvelle spatialisation du concert symphonique,
là où le son devient roi et les émotions sublimées. Et poser son
arrière-train sur de la peau de vache ramène aux sources de la
nature, la grande inspiratrice !
C'est autant une sublimation
architecturale, qu'acoustique, qu'il réalise. Il invente
l'architecture de l'acoustique, l'orthophonie, grâce en partie à sa
recherche sur l'évolution du piano, comme démontré précédemment.
Il invente une scène qui a la forme d'un porte-voix dirigé vers une
immense voûte en briques recouverte de béton d'un seul tenant, sans
support apparent. Pour diffuser le son pleinement à 3000
spectateurs, il faut de la puissance et donc le son va être projeté
du point central de la scène vers chaque fauteuil par un système de
calculs d'ondes directes et indirectes, un peu comme au jeu du
billard.
Et ainsi, je vous assure que
l'on pouvait chuchoter sur scène et qu'au dernier rang du 2ème
balcon, on entendait parfaitement. Pas besoin de micros ! Un soir
lors d'un concert, Roch Olivier Maistre, alors à la mairie de Paris
et depuis président du conseil d'administration de la cité de la
musique, vint me voir. Je le fis monter et asseoir sur les dernières
marches du dernier balcon pour qu'il apprécie la beauté du son.
Elle était inexplicable. Qu'est ce qu'un beau son ?
Outre la qualité
de l'interprète, qu'est ce qui vous garantit une belle sonorité ?
les systèmes de diffusion électroniques ? la qualité des matériaux
? Non. C'est la synergie entre la conception du bâtiment, la
disposition technique des divers éléments et la spiritualité du
lieu. C'est pourquoi le sujet de l'acoustique mène à des critiques
de toutes natures, sans vrai fondement car la beauté du son est
indescriptible, parfaitement abstraite sauf à nous émouvoir aux
larmes.
Outre les espaces de concerts,
Auguste a prévu la construction de studios de musique à louer, des
surfaces d'expositions de pianos, un bar, un atelier de réparation
d'instruments, et pour aérer tout cela il invente l'air rafraîchi,
qui grâce à des réservoirs d'eau glacée placés sur le toit, va
rafraichir par des bouches d'air les salles de concerts.
C'est l'ancêtre et peut-être
le futur de l'air conditionné. De l'aveu de l'architecte Paul Andreu
qui me reçut en 2005 en Chine à Beijing, pour visiter son "nouveau
centre national des arts" la Salle Pleyel fut son modèle pour
construire sa salle symphonique. De même à Lucerne, Jean Nouvel qui
édifia en 1998 une salle de concerts en forme de conque de bateau,
s'inspira de la conque d'oreille de Gustave.
Fin.
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